Vous reprendrez bien un peu de Lionne ? «Ca faisait longtemps, non ? Eh bien, la veinarde du jour est le phare du «Sénégal qui perd», vice champion de ses propres désorganisations, pépite de l'orange aux reflexes aussi affectueux qu'astucieux. Aya Traore, 24 ans, 1m84, 79 kg, décontraction glaciale, ailière, du Sénégal, meilleure Lionne du tournoi, membre du cinq majeur des 20 ème championnats d'Afrique des nations 2007 et symbole de la formation à la sénégalaise, est la nouvelle fiancée de Marius Ndiaye en même temps qu'elle réconcilie le «Sénégal du basket» avec ses vieux rebonds et ses faux bonds.
De la à imaginer une fille de feu sous la glace, de là à se shooter d'une ado réservée au jeu aseptise, il n'est point besoin d'allonger les quart-temps pour exploser les paniers en compagnie de cette graine de championne au pays des désillusions récurrentes. Elle dit : «Cette coupe d'Afrique, c'était une bonne expérience malgré la défaite en finale contre le Mali. Mais c'est fini, les mots n'y pourront rien et moi je me tourne déjà vers d'autres objectifs, vers mon club, vers l'avenir ». Hum!
On ne peut pas l'avoir manquée. C'était elle, le piaf en bandeau blanc sur le crane, le numéro 5 floque au dos, l'éclair du banc des Lionnes quand Marius Ndiaye grognait, spécialiste des pénétrations inopinées sous le panier, pointeuse de tirs primes quand les intérieures sénégalaises butaient sur leurs approximations rétrogradés, talent introverti quand une Awa Gueye savait communier avec le peuple de la balle orange. Mais Aya, c'est aussi l'enfant de la bulle plus que de la balle, capable de déchirer le rideau de fumée des apparences pour donner libre cours à sa seule science du basket bien conçu.
Ce trait de génie sous sa culotte courte aux prétentions impétueuses, lui a valu l'attention de la Fiba et un lot de consolation en compagnie de Hamchetou Maïga, Djéné Diawara (Mail), Carla Dasilva (Mozambique) et Christina Andrade (Cap-Vert), membres célébrées du top 5 continental. Maguette Diop, coach des Lionnes : «Aya a les dispositions pour être le leader technique de cette équipe (du Sénégal) à l'avenir. C'est une joueuse concentrée, avant et pendant un match, habile en attaque-défense, très technique aussi. Elle est perfectionniste aussi, c’est sa force. Elle ne minimise rien dans son jeu. Aya c'est un faux-lent, qui donne l'impression de ne pas se forcer, mais elle n'était pas notre meilleure scoreuse pour rien. Mais sa nature introvertie peut laisser penser qu'elle n'est pas impliquée alors que les autres filles m'ont certifié qu'en privé elle se lâche totalement. Elle a une bonne mentalité de groupe, très positive, toujours impliquée, mais elle gagnerait à s'extérioriser davantage pour son épanouissement sportif».
Cette reconnaissance continentale en forme de découverte qui a fait se sursauter une ponte de la République au bagout récupérateur ((Aya! elle est sublime»), laisse de marbre cette fonceuse chez qui le sourire est une fête. En coulisses, à froid et au lendemain du coup de bée assassin des Aigles du Mali, Aya, yeux en amandé, lèvres roses, dos rebondi, psychologie translucide et méfiance séduisante, trimballe sa mélancolie derrière un optimiste déprimant. Dans le nid douillet du repaire familial du lycée Kennedy au décor éteint et sommaire, la basketteuse, fan d'Omar Pène et qui adore faire du shopping», reçoit des groupies extasiées et reste sourde au tintamarre honorant de la rue. Elle tient le bulletin de mauvaise santé d'un sport sénégalais qui aime à s'enorgueillir des filles de sa trempe pour panser ses plaies mal cicatrisées. Elle dit: «J'aurais préféré que le Sénégal gagne cette coupe plutôt que de faire partie de ce top 5 d'Afrique». Elle avoue même : «Après la défaite, j'ai fait des cauchemars.» Sans chichis mais avec les états d'âme de la sportive capricieuse, mystérieuse.
La voisine de chambre de Fatou Balayara Ndiaye concède qu'elle a pris du « plaisir lors du tournoi », en compagnie de ce groupe de filles «toutes amies et liées depuis leurs débuts au basket», salue encore « l'esprit de groupe, le bonheur d'être ensemble, la discipline», évoque les complices d'après jeu, connues en sélection de jeunes « Ndeye Diola Ndiaye, Saly Diatta, Balayara », minimise l’histoire des maillots mouilles qui ne peuvent « empêcher la défaite » et ne veut pas se prendre la tête « avec l'histoire des primes ».
Aya, c'est aussi une certaine idée du basket local, de la masse et de ses ramifications élitistes. Elle est d'un temps très ancien ou la formation à la base était le cheval de bataille d'une direction technique à la politique sécurisante. Elle a assimilé le b-a-ba de sa discipline aux pieds de sa barre d'immeuble du lycée Kennedy, au club de l'Asfo pensionnaire des lieux.
On est alors en 1991-92 et la frêle Aya s'active en poussins, benjamins, cadets, et s'échine a canaliser ses prédispositions précoces. Sa maman : « C’était une fille studieuse et à côte, je voulais qu'elle ait une activité sportive. Je me suis approchée alors d'un certain Abass qui était entraineur des jeunes au club de l'Asfo dans l'enceinte même du lycée Kennedy. Au même moment feu M. Berthé venait d'ouvrir son club de tennis à l'Olympique Club et j'avais inscrit Aya là-bas. Elle allait au tennis à 14h et a 16h elle enchainait avec le basket. Mais finalement, Abass est venu vers moi pour me dire que Aya devait choisir une discipline et qu'elle aimait bien le basket. C'est comme ça qu'elle s'est investie dans le basket.» Abass Basse, éleveur de jeunes talents et actuel entraineur des minimes à Bopp, se souvient des balbutiements au basket de l'internationale sénégalaise : « C’est feu Kader Diallo, un ancien entraineur de basket, qui m'avait mis en relation avec la maman de Aya parce que cette dernière voulait que sa fille s'implique dans ce sport.
Kader, qui m'avait emmené à l'Asfo pour m'occuper des jeunes dans l’enceinte du lycée Kennedy, avait alors dit à Mme Traoré : « Votre fille sera entre de bonnes mains ». Elle m’avait ensuite demandé des conseils sur les tenues idéales à la pratique du basket pour sa fille. Mais quelle ne fut ma surprise de voir qu'elle n'avait pas acheté des maillots de basket, mais de simples tenues de ville, des tee-shirts. Le premier jour d'entrainement Aya était venu avec Awa et Omar, ses frère et sœur. Mais ils trainaient tellement les pieds que leur maman les a engueules pour qu'ils se motivent davantage. Apres ça, elle leur avait même remis un billet de 1000 F Cfa pour les encourager.» II ajoute : « Aya s'est révélée, des le premier jour, une fille polie, respectueuse, réservée, très attentive au point d'assimiler rapidement ce qu'on lui apprend. Elle ne râlait jamais, ne posait pas de questions ni ne faisait des histoires. Mais sa principale force c'est la maitrise, maitrise dans tous les domaines. Ce qui fait que Aya est tout en retenue et en toute occasion, elle ne s'affole jamais ni ne s'enflamme. Elle pue le basket, elle a parfait les fondamentaux de ce jeu. Je l'avais prise à l'âge de 12-13 ans en minimes, en cadettes je l'ai surclassée Juniors et on avait gagné la Coupe du Sénégal contre le Jaraaf des Ndialou Paye. Par la suite, elle a été surclassée en Seniors de l'Asfo avant qu'elle n'aille aux Etats-Unis ». La gamine à la discrétion des voix a l'eau claire, jongle ses recréations avec les études, se motive jusqu'à la première S2 à Kennedy avant de se voir offrir une bourse pour les Etats-Unis, au Collège de Dixie. Elle a 16 ans, l'âge des angoisses pré-pubères, des rêves euphorisants et des ébauches de carrière prometteuses.
A Dixie Collège, l'adolescente pointe 911 points sur une saison, s'attire les rubriques enflammées de la presse de cette Amérique profonde, passe au High School avant de s'ouvrir, majestueuse, les portes de l'Université de Purdue dans l'Etat d'Indiana et d'intéresser encore les Washington Mystics, l'antichambre de l'élite féminine du basket américain. Elle dit : ((Tout cela est allé très vite, j'étais très jeune en plus. Mais cela vaut la peine d'être vécu et c’est de l’expérience en accéléré ».
Cette diplômée en management de tourisme et restauration de l'Université de Purdue s'est essayée en 2006 en France, au club de Nice « juste trois mois » et a décroché en janvier 2007 un contrat pro à Polfa, club de Pro A de Pologne. Elle se fiche comme d'une guigne de ses penchants pour la bougeotte, des « qu'en dira-t-on », à un âge ou d'autres expérimentent à peine le sinueux voyage professionnel. Elle se rassure, bouffie de cachotteries : « Je préfère rester discrète sur mes contrats, cela ne dépend pas que de moi ». Bof !
On devine, chez cette ainée d'une fratrie de quatre, fille d'un professeur de Biologie a l'Université de Dakar, « Malien bon teint de Sikasso et Ceddo », et d'une infirmière du lycée Kennedy de qui elle tient « ces yeux bien roulés », des angoisses sourdes à toute raison et un besoin inexploré de s'arc-bouter dans sa bulle pour n'en laisser paraitre que des traits mineurs. Elle dit : « je ne suis pas une fille triste, seulement je ne peux pas sourire à tout bout de champ sur le parquet. Peut-être que je suis timide, méfiante ». Saly Diatta, une de ses meilleures amies : « C’est une fille qui adore danser, malgré sa timidité et sa retenue, et quand elle s’y met, difficile de l'arrêter. Je connais Aya depuis les sélections de jeunes, on est souvent voisine de chambre et on a toujours bien rigolé ensemble, parlant de tout et de rien, des garçons, de la vie. Lors de la Can, elle me chambrait souvent sur mes jambes et je lui rétorquais qu'elle était molle dans la vie. Apres le match contre le Mali, elle a beaucoup pleuré dans les vestiaires, alors que sur le parquet elle ne laissait rien transparaitre. C'est tout Aya ça ».
Aya n'est pas du genre à pleurnicher dans le giron des critiques savantes. Elle a plutôt l'allure négligente mais pas négligée. Sa maman, toujours : « C’est une fille respectueuse, polie, franche et sincère ». Bémol : « Elle est têtue sur les bords, ne lâche pas prise facilement ».
Cette élégante des parquets ne lâcherait rien donc, au point de manier les rebonds de sa vie à sa guise ? On devine toujours chez Aya un jeu de cache-cache moins lumineux que son basket et on se dit qu'une fille qui « lit très rarement » et qui préfère ne rien dire « sur (ses) amours », doit forcement avoir un cote indifférent et égocentrique. L'un servant à marabouter l'autre.
Vous reprendrez bien un peu de cette Lionne ? Peut-être bien que oui, peut-être bien que non ? Elle, patronne de ses affects, se surprendrait presque à distiller des leçons de basket. Elle dit : « Chacune de nous devra batailler encore plus dans son club, les victoires nous attendent ». Un rêve ? « Oui, je veux aller aux JO, m'imposer dans mon club, gérer à bien mes contrats et tout deviendra possible ». La photographe est là, qui parvient à la dénaturer, à lui ôter ses tenues de scène pour des poses plus légères. Ouf ! Elle sourit enfin.
Pour contacter Aya Traoré : envoyer un Email à
ayatraore@gmail.com