Malgré son éligibilité, Magatte Diop ne répond d'aucune obédience. L'enfant de la cité du Rail, du quartier Randoulène Nord, est allergique aux contorsions politiciennes. «Je n'aime pas la politique, cela ne m'intéresse pas ! J'ai été très tôt dévié par le sport», confesse-t-il. Et d'insister. «Je ne suis ni pro-Idy ni anti-Idy.» Mais foncièrement pro-basket. Sur le banc, il abhorre le retour en zone. Dans la vie, il exècre le yo-yo politique ! Il a beau partager le même centre de vote avec l'édile de Thiès, l'école élémentaire Malick Kairé, le Dtn n'en adoube pas les combines politiques. Il préfère le discours de la sueur et le son des raquettes. Un de ses compagnons des terrains de basket fait blocage et témoigne : «Le sport, c'est la seule activité que je lui connais.» Suffisant pour le quinquagénaire qui vient de souffler sa 52e bougie le 10 octobre dernier fasse la Ola.
Les yeux tirés par les affres du Ramadan, Max avoue sans once de gêne sa peur bleue pour le jeûne : «Niémé wouma kor dé !». N'empêche, il est très emballé pour retracer sa vie sportive. Presque en exaltation sous sa tenue décontractée pour un dimanche ramadanesque, sweetshirt gris avec l'inscription d'une équipe universitaire américaine sur les manches et un short blanc, «Max» a le verbe et la verve pour faire son autobiographie. Le roman ne fait original dans l'intitulé : «Vie d'un passionné de l'orange.» Une vie sous les paniers car le «malade du jeu» a attrapé le virus du basket dès son enfance. Et voilà 30 ans qu'il est au service du sport. Un secteur où son cheminement a suivi le sillon classique : joueur, encadreur, entraîneur… directeur technique.
Ses premières étreintes de la balle orange débutent à l'école élémentaire. Son maître de Cm2, Lamine Kane, un fervent amateur et pratiquant, lui a tôt inculqué l'amour des rebonds et autres shoots. «Chaque samedi, il y avait les matches entre enseignants et comme ce n'était pas un jour de classe, on assistait à ces rencontres», se remémore encore Magatte Diop, le regard plongé dans ses souvenirs d'enfance. L'œil rétro dans la demeure familiale qui jouxte la maison des jeunes de Thiès, actuel Cneps de la ville. Cité où l'on formait, naguère, les maîtres d'éducation physique. Où naquit la fièvre orange d'un menu meneur (1,77 m) qui fut champion de D2 avec l'Asc Lat-Dior (D2), actuel Thiès-Fc. Avant de passer ensuite à l'Us Rail en D1. Dans l'élite, il est finaliste du Championnat et de la Coupe du Sénégal (1974-75) contre le Dial-Diop de «Adidas1», Abdourahmane Ndiaye, ex-entraîneur national des Lions et Moustapha Diop «Gaucher».
Le statut de joueur n'était qu'éphémère puisque sa vocation était plutôt le professorat. Et sa rencontre avec l'emblématique Mamadou Sow, l'ancien directeur technique national dont le séjour à Thiès a bien marqué et développé le goût du basket, allait accélérer son choix. «Avec «Pa Sow», on mettait les structures, le travail d'équipe », se rappelle Max, les yeux luisant d'admiration pour son doyen et maître. «A son contact, j'ai vite senti que ma vocation était d'être un entraîneur-formateur de basket», se convainc très tôt l'homme à plusieurs cordes à son arc. L'art de fabriquer des basketteurs l'enchante. C'est le déclic ! Car, Magatte se met en tête de faire le concours d'entrée au Cneps de Thiès. Malheureusement, le concours n'aura pas lieu en 1974. Le Bac (D) en poche, le Rolling Stone, surnom de son «club d'amis à Randoulène», débarque à Dakar et prend la direction de l'Ucad de Dakar. Sans avoir qu'il venait de poser ses baskets dans sa deuxième famille. Etudiant à la faculté des Sciences et techniques, où l'enfant de Randoulène se noie dans les Sciences Naturelles sous le joug parental. Mais, très vite, les rebonds de sa passion l'envoient se frayer le chemin des parquets. Coïncidence heureuse, l'Inseps (Institut national supérieur d'éducation physique et sportive) ouvre ses portes cette année et Max est admis au concours d'entrée en 1975. Il fera partie de la première cuvée.
L'UCAD, SA DEUXIEME FAMILLE
Il quitte la Faculté des Sciences, mais reste fidèle à Cheikh Anta Diop avec son statut de joueur au Dakar université club (Duc). Puis, à sa sortie de formation, il est en poste au service des Sports de l'Ucad. Peut-être ne se doutait-il pas que son sort était scellé à ce temple du savoir. Un quart de siècle de ménage. Presque toute une vie.
Comme un trait d'union de la période de renaissance en 1977, année où à la demande Ousmane Ndiaye, le transfuge de la JA a aidé à sortir le Duc de trois ans léthargie, jusqu'aux flamboiements des années 90-2000, le technicien a fait toutes ses humanités sur le banc étudiant : entraîneur adjoint, coach titulaire et Directeur technique. Fidèle au poste, le dernier «Mohican» jaune-noir a fini par se fondre dans le décor de l'Ucad, à faire du terrain de basket qui jouxte le Pavillon A son terroir. Le labo où, de ses débuts sur le banc du Duc-garçons jusqu'à son assistanat chez les Lionnes-juniors qui l'éloigna pour de bon (?) de la gent masculine, il y a ciselé tant de diamants bruts, y a fomenté toutes les conquêtes.
Le façonneur hors-pair, taiseux ingénieux, a passé sa vie de technicien à la quête de la perle rare. A chérir ses «Duchesses» avec lesquelles il a souvent pavané, couvert d'or et d'éloges : cinq Grands chelems, onze titres de champion du Sénégal avec une main-mise de 1996-2005, trois titres de champion d'Afrique des clubs. Un palmarès à laisser pantois les plus sceptiques, à envoyer en contrition le dernier de ses contempteurs. Sa science, mais surtout son sens aigu de l'observation attisent la flamme de ses inconditionnels, aimantent les louanges des connaisseurs :«C'est un entraîneur compétent. Il a un sens élevé d'observation et d'écoute. Quelquefois, les gens ont l'impression qu'il est passif mais il suit pleinement les matches», témoigne un de ses collègues. Sculpteur de Reines, il en a créé à profusion : Sadio Sankharé, Ami Kane, Anta Sy, Salimata Diatta, Awa Guèye, Mborika Fall, Adama Diop... Son secret avec les filles : «Elles sont plus réceptives.» Même si, consent-il, «c'est très difficile parce qu'elles attendent tout de toi».
PERSONNAGE AMBIGU
Comment ce «gentil jusqu'à être faible», comme le dépeint Mama Ndiaye, trésorier de la Fédération de basket, peut-il sortir sans couac des byzantineries des filles, pour les envoyer au front, souvent avec succès ? L'absence de réponse renforce la complexité du personnage. Sociable, respectueux, en somme d'un beau métal, il n'en demeure pas moins que l'incroyable générosité de cet humaniste affranchi reste une énigme dans sa famille orange. Elle prête même à équivoque dans un milieu où l'on se gausse des «jambons». Certains la traduisent comme un manque de caractère : «Max endure trop. Il encaisse beaucoup», se plaint un de ses amis. Car, dans la jungle du sport, les dociles sont affrétés pour boucher les trous. «Erreur», prévient Mama Ndiaye : «Il peut endurer beaucoup de choses, de sorte que les gens pensent qu'il est faible. Quand il est au bout, il est capable de tout casser.» Réfractaire à l'injustice, l'homme de glace peut cracher le feu quand ses «Lionnes-chéries» sont lésées. Confortant une personnalité qui prête encore à confusion. Sur le banc, sa patience met à rude épreuve son public. Dans la vie, sa gentillesse lui joue quelquesfois des tours. D'où la froide prémonition d'un observateur : «Il a besoin de quelqu'un qui l'aide à trouver au moment opportun les bonnes solutions. Il peut s'embourber à cause de sa sensibilité.» Casanier, Magatte «ne sort presque plus», révèle Codou Diop, sa femme. Hors des terrains, il joue au poste de papa-poule devant la télé : «Je suis très sensible à la famille.» Ses talents de danseur de salsa lui ont échappé comme un ballon savonné. Une des dernières conséquences de sa défunte vie de polygame, en équilibriste entre Thiès, où vivait sa première épouse et Dakar, où réside sa seconde femme. Car son enfance dans une grande famille a même influé dans ses choix matrimoniaux : le bonhomme a été longtemps polygame avec deux femmes... «non sportives», jusqu'à ce qu'un destin cruel en décide autrement. «Ma première femme est morte», renseigne Max, le visage submergé par une tristesse jamais garrottée.
L'entraîneur des Lionnes, redevenu un monogame, ne jure plus que par ce statut. «Histoire de passer plus de temps avec sa famille.» Mais, dans un basket féminin qui culmine si haut, saura-t-il faire abstraction de son penchant pour les longues jambes. Son point faible. «Ma grande taille l'a attiré et il m'a demandé qu'on soit amis. C'est comme cela qu'on s'est connus», rigole Mme Diop. Teint clair, environ 1m80, Codou reconnaît les affres du haut niveau qui éloigne si souvent son homme. «Au début, ce n'était pas facile pour moi, mais maintenant ça va, je m'adapte à ses absences», confesse-t-elle. Le changement d'attitude ravit son homme qui a essuyé quelques «coups de gueule» de sa moitié. Codou Diop : «Je suis stressée quand il doit voyager avec l'Equipe nationale.» Est-ce de la jalousie ? «Non, non ! rassure Mme Diop, je ne me fais aucun souci sur ce plan-là. Je ne suis pas jalouse. En plus, Magatte m'a juré qu'il n'a jamais courtisé une de ses joueuses.» Parole d'homme ou de technicien ?