« Mon but est d'élargir Seed à d'autres pays africains »
J'ai d'abord essayé le coaching mais sans succès. Après je me suis trouvé au bon endroit au bon moment. J'ai saisi une opportunité qui s'offrait à moi. En 1997, j'ai rencontré Donnie Nelson,pionnier sur le marché de la NBA, qui m'a proposé un poste de scout NBA. Il m'a accueilli à Dallas et guidé dans le monde des agents. Ce n'était pas facile pour moi car j'étais étranger et je n'ai jamais joué en NBA.
Comment devient-on scout ?
Il n'y a pas de formule. Le métier de scout se développe sur le terrain.
Il faut connaître le jeu et le niveau bien évidemment. Essayer de se
projeter dans le futur pour deviner ce qu'un joueur de 18 ans deviendra
à 25 ans. Faire des choix. Les mauvais choix font parti du jeu. C'est
grâce à eux que l'on acquiert de l'expérience. Je passais mon temps à
imaginer des scénarios de jeu et de transfert. J'ai eu la chance de
côtoyer de très grands coachs avec qui j'ai pu échanger sur le jeu en
lui-même, sur différents joueurs. On apprend de tout le monde. Quand je
parle avec des coachs européens par exemple, ils m'expliquent ce qui se
passe chez eux, quels joueurs se démarquent... Après ça devient une
question d'instinct, on finit par être scout dans l'âme. Un simple match
de gamins de 9 ans réveille notre oeil de scout.
Qu'est ce qui fait qu'un joueur te séduit ou séduit une équipe NBA?
Chaque équipe a sa philosophie, sa fiche de critères. L'évaluation d'un
joueur n'est pas unique, elle dépend des différents profils recherchés.
Il faut catégoriser les différents aspects qui entrent dans les
aptitudes à avoir : capacité mentale du joueur, capacité à s'intégrer
dans une équipe, qualités individuelles qui dépendent de la position à
laquelle évolue le joueur. Ceux qui ont des qualités athlétiques sont
intéressants mais d'un autre côté ce n'est pas parce que tu n'en as pas
que tu ne peux pas être efficace. Un joueur peut paraître nonchalant et
assez mou mais super efficace en défense.
Comment s'organise la répartition des différentes personnes qui
composent le Scouting Staff à Dallas?
Je suis le Directeur Scout de Dallas. Derrière moi, il y a toute une
équipe de personnes que je dois coordonner. Chacun est affecté à une
zone géographique pour une mission de repérage. Si un joueur en vaut la
chandelle, je me déplace pour aller jeter un oeil, voire plus. Je suis
un peu partout finalement. Notre répartition m'évite de perdre du temps
à aller en Argentine par exemple s'il n'y a pas lieu d'y aller. Depuis
peu, j'essaie de voyager un peu moins car l'équipe est déjà belle. Je ne
dis pas que nous ne cherchons plus de talents, la détection ne s'arrête
jamais. Mais nous allons en priorité nous axer sur la formation de nos
jeunes. Des équipes, comme la nôtre avec Dirk Nowitzki ou les Spurs avec
Tim Duncan, tournent bien pendant 10-15 ans mais derrière, quand les
grandes pointures partent en retraite, il faut s'assurer d'avoir des
jeunes pour la relève. Nous devons toujours continuer à infuser les Josh
Howard, Desagana Diop, Devin Harris et autres, dans la continuité pour
ne pas avoir à reconstruire une équipe dans quelques années.
Et le coach, à quel niveau intervient-t-il dans le système de
détection ?
La vision du coach est la plus importante et en tant que scouts, nous
devons la suivre. Certains joueurs actuels ne s'adapteraient pas au
coaching de Don Nelson à l'époque. Il recherchait beaucoup plus de
jeunes complets : le pivot devait savoir faire la passe par exemple. Don
a beaucoup aidé Nowitzki dans le développement de son jeu. Dirk avait
pas mal de liberté: il pouvait shooter à 3 pts ou jouer à l'intérieur.
Il y avait moins de spécialistes par poste à l'époque. Avec Avery
Johnson, chacun a son rôle et le jeu est devenu hyper défensif. En
attaque, ça a un peu changé: le ballon bouge beaucoup et nous tirons
moins rapidement. Avant, on tirait à 10 secondes du chrono. Le scouting
staff a dû s'adapter à ces évolutions. Notre défaite en finale NBA cette
année montre que nous avons encore des progrès à faire au sein de
Dallas. Comme dans tout échec et même victoire, il y a une marge de
progression et des leçons à tirer. Nous devons juste nous poser les
bonnes questions.
La réussite des pionniers européens en NBA et l'ouverture qui a suivi
ont-elles changé votre façon de travailler ?
L'arrivée de joueurs européens a bien évidemment changé la façon de
scouter en NBA. Je pense qu'aujourd'hui, le talent peut venir de
partout: Afrique, Europe, Etats-Unis, Asie. On ne peut plus restreindre
nos détections à deux, trois pays. Beaucoup d'équipes se sont ouvertes
au marché européen et vont prospecter. A Dallas, nous avons toujours été
ouvert et nous y accordons une importance particulière. D'autant plus
que c'est Donnie Nelson qui a signé le premier joueur de l'ex-Union
Soviétique, le Lituanien Sarunas Marciolionis dans les années 80.
De ton oeil de scout, quelle différence fais-tu entre un joueur
américain et un non-américain?
Les joueurs étrangers (les non-américains) respectent leur équipe. Les
qualités athlétiques sont différentes et le jeu en est changé. Il repose
sur l'adresse, la dextérité mais surtout le collectif. Il y a beaucoup
plus de polyvalence. Aux Etats-Unis, les jeunes joueurs sont souvent
trop axés sur leurs supériorités athlétiques. De ce fait, il y a un
abandon du travail des fondamentaux. On oublie comment faire une bonne
passe à un coéquipier ouvert. Le jeu est de moins en moins propre et
simple mais les joueurs sont de vrais combattants qui ont soif de
gagner. Quand on allie les qualités techniques et physiques, on obtient
des joueurs exceptionnels comme Wade ou Lebron. Ils sont encore jeunes
mais ce sont des vrais joueurs avec une mentalité de combattant. C'est
une nouvelle génération de joueurs américains et on retrouve l'esprit
que l'on pouvait avoir chez les Larry Bird et autres.
Quelle est, selon toi, la plus grosse lacune du système de formation
américain ?
Le joueur accorde plus d'importance à son intégrité en tant que
basketteur qu'à ses études. Et pourtant c'est au lycée que tout se joue
et que la discipline s'installe. Si les jeunes ne profitent pas de cette
étape pour apprendre, la suite va être plus difficile. La situation a
changé depuis que la ligue a instauré la limite d'âge en NBA. Il y a eu
une période où les jeunes passaient du lycée en NBA sans passer par
l'université. Ces gamins n'étaient prêts ni physiquement ni
techniquement quelque soit le talent. Toutes les stars lycéennes qui ont
tenté l'aventure NBA mais qui n'ont pas réussi sont très vite oubliées.
On n'entend plus parler d'eux et le plus triste c'est qu'ils se
retrouvent sans éducation. A 14 ans, les gens les voyaient comme des
superstars et ils se considéraient eux-mêmes comme des vedettes. Les
mecs se croyaient déjà arrivés sans avoir fait le moindre effort niveau
travail. Mais quand ils se réveillent, la réalité est dure à vivre.
Que penses-tu de l'Euroleague, souvent décrite comme ligue de
développement NBA ?
L'Euroligue est une sorte de grande plate-forme. De grandes équipes se
développent dans ce championnat et leur organisation est
impressionnante. Un tel niveau de compétition est un excellent cadre
pour évaluer la capacité d'un joueur à réagir sous pression. L'enjeu en
Euroligue est assez exceptionnel. Sarunas Jasekivicius a atteint un haut
niveau en remportant le Final Four deux fois de suite avec le Maccabi.
Les clubs comme Vitoria ou le CSKA gagnent doucement un niveau de jeu
supérieur et leurs équipes d'encadrement sont très bien organisées et
très professionnelles : staff médical, relations publiques… Il ne faut
pas négliger ce qui entoure une équipe, c'est ce qui stimule l'ambition
des joueurs. Quand Mark Cuban a pris les rênes de la franchise à Dallas,
tout a été amélioré jusqu'au moindre détail : les vestiaires ont été
aménagés, un goûter est organisé après l'entraînement... ce sont des
petits gestes importants qui éliminent toutes excuses de la part du
joueur qui ne cartonne pas.
La plupart des observateurs disent que le manque de collectif de la
team USA à Athènes en 2004 et Indiana en 2002 est la cause de leurs
défaites. Ils auraient manqué de temps pour se connaître et apprendre à
jouer ensemble. Penses-tu que le mal était plus profond ?
A Athènes et Indiana, la construction de l'équipe était mauvaise. Il n'y
avait pas de shooteurs alors que face aux zones européennes, c'est
indispensable. Ils ne comptaient que sur les isolations et les un contre
un. Il y avait aussi un problème d'ego. L'équipe était constituée de
stars habituées à être les leaders dans leurs équipes respectives et
quand on les met tous dans le même sac, on ne sait pas qui va être le
leader. La difficulté est de créer une alchimie dans un groupe. Regardez
la Dream Team de Barcelone en 92 : Johnson, Bird, Jordan, Barkley,
Ewing, des joueurs expérimentés qui n'étaient pas à la recherche de la
gloire personnelle. Ils ne badinaient pas, partageaient la balle et
avaient beaucoup de respect pour le jeu et les uns pour les autres. La
Dream Team quoi ! Aujourd'hui, la conception de la team USA a
complètement évolué. L'échec d'Athènes a été très lourd à porter pour
les USA et pour relever la tête, ils avaient besoin de frapper fort.
L'objectif est la formation d'une équipe qui gagne et la médaille d'or
aux JO de Pékin en 2008 mais ils ont déjà commencé à construire avec les
Championnats du Monde. Ils ont sorti l'armada en alignant de jeunes
talents supérieurs comme James, Carmelo Anthony ou Wade qui a carrément
explosé en playoffs.
Où peut-on classer le niveau du basket en Afrique ?
Difficile de parler de niveau en Afrique. L'Afrique est faite de très
bonnes individualités qui émergent tous les jours. Mais il n'y a pas de
système de formation et un joueur qui veut progresser est obligé de
s'exiler en Europe ou dans les universités américaines.
Les choses évoluent, l'Afrique a pris le train en marche et reste un
chantier sur lequel il reste encore beaucoup à faire. L'arrivée de plus
en plus d'Africains en NBA et leurs parcours positifs ont été un des
éléments déclencheurs. Ceci donne au basket africain une autre
dimension. Il faut des terrains, des ballons de basket, des chaussures
mais ce qu'il faut surtout c'est de la matière grise. Ce que je dis
n'est pas péjoratif, je reconnais le travail fait jusqu'à présent. Mais
si on se souvient de Bengaly Kaba, Abdou N'Diaye, Apollo Faye, Mariama
Bâ… Tous ces joueurs ont réussi parce qu'ils étaient formés et
travaillaient avec d'excellents entraîneurs tels que Mamadou Sow ou
Aliou Diop. Aujourd'hui, il n'y a pas assez de formateurs formés. C'est
une des raisons qui m'a poussé à mettre en place l'Académie de Thiès.
Au-delà de notre vocation à former une génération de basketteurs, nous
faisons office de centre d'échanges où des entraîneurs débutants
apprennent des meilleurs.
Justement, peux-tu nous dire quelques mots sur ce centre de formation
que tu as fondé à Thiès, la SEED Academy ?
En Afrique, la plupart des gens pensent que l'éducation est un frein à
la réussite sportive d'un athlète. C'est pourquoi en 1997, j'ai commencé
à travailler sur un projet, que j'ai appelé le « Sport for éducation and
economic development » visant à mettre le sport au service du
développement économique et social du Sénégal. Tariq Abdul Wahad et
Bengaly Kaba se sont engagés à mes côtés et la SEED Academy est née. A
l'académie, nous expliquons aux jeunes qu'il faut impérativement passer
par l'enseignement et l'obtention de diplômes. A leur sortie de
l'académie, certains trouvent un club en Europe (Mohamed Saër Sène,
récemment drafté par Seattle) et d'autres en High School (Mohamed Faye,
Pape Dia). Nous les aidons à s'orienter grâce aux différents contacts
que nous avons et ils font leur choix en consultant leur famille.
Quoiqu'il en soit je garde toujours contact avec les expatriés car il
est important pour eux de sentir qu'ils ont quelqu'un derrière eux.
Beaucoup de projets privés se sont montés par la suite. DeSagana Diop,
sénégalais évoluant à Dallas, est venu inaugurer son premier camp cet
été en compagnie d'Avery Johnson, coach des Dallas Mavericks. Mon but
maintenant est d'élargir la SEED à d'autres pays africains et par la
suite développer un réseau mondial d'écoles.
PARCOURS
Ancien joueur de Duke où il a affronté Dikembe Mutombo et Zo Mourning et
suite à une blessure au poignet, Amadou Gallo Fall s'est d'abord essayé
au coaching avant de trouver sa voie. Aujourd'hui directeur de
l'équipe de scout des Dallas Mavericks, sa mission est de dénicher les
joueurs qui feront des Mavericks, la meilleure équipe NBA.