Rappel des faits.
Nous sommes le 16 février 2006. Quart de finale de la Semaine des As entre Gravelines et Le Mans. Il reste quelques secondes. Faute contre le Manceau Eric Campbell. C'est sa cinquième. L'intérieur ne pourra pas jouer les prolongations (79-79). Son coach proteste. La contestation ne porte pas sur le bien-fondé de la sanction, mais sur l'identité du coupable.
On l'aurait confondu avec l'un de ses partenaires, Kenny Gregory, averti à deux reprises seulement. Mais il n'y a pas de preuve. « Nous avons discuté avec tout le monde, essaie de se remémorer Radonjic. L'entraîneur du Mans a été super gentil et ses joueurs sont restés vachement corrects. Mais personne dans la salle ne pouvait être affirmatif. Sur l'action, Campbell et Gregory étaient presque l'un à côté de l'autre. Comme ils ont à peu près la même taille (NDLR : 1,94 m contre 1,91 m), c'était impossible. En bientôt trente ans de carrière, je n'avais encore jamais vu ça. »
Vide réglementaire.
Ni une, ni deux, il est monté en tribune de presse pour revoir la scène sur un écran de contrôle, créant sans le vouloir un précédent. « J'ai fait ça comme ça. Par nature. Comme si, un matin, je décidais finalement de prendre un chocolat au lieu d'un café. Il n'y avait rien de prémédité. » Gregory étant bien le fautif, Campbell a pu reprendre la partie et Le Mans finira par l'emporter (91-88). Une grande première dans l'histoire du basket français. Et européen. Dans les règlements fédéraux, il n'y avait pas une ligne sur la vidéo. Le vide total. Tout ce qui n'est pas interdit étant autorisé, les Gravelinois décidèrent de ne pas porter réclamation. « Leur président m'a même félicité, se souvient le Bosniaque. Personne ne m'en a fait grief. »
La position de sa hiérarchie fut en gros la suivante : c'est une bonne initiative, mais il ne faut pas recommencer. Un bon sujet de réflexion pour les 5es Journées de l'arbitrage qui se déroulent ce week-end dans toute la France, associant pour une fois le football, le rugby, le basket et le handball.
Lui-même fou de sport, Goran Radonjic élargit le débat : « La photo finish en athlétisme n'est-elle pas l'ancêtre de la vidéo ? » Autre exemple qu'il cite : la moto. « En l'an 2000, lors du dernier Grand Prix 250 cm3, Olivier Jacque est devenu champion du monde face à Nakano pour quelques centimètres en lançant son engin sur la ligne. Cela demandait vérification, comme pour un ballon aplati ou pas dans l'en-but. »
Sur le buzzer uniquement.
Mais il y a du nouveau. Depuis le 1er octobre, les arbitres de basket ont théoriquement le droit de recourir aux images. Mais dans un seul cas de figure : « La vérification de la validité des paniers au buzzer. » Un peu comme en NBA. La Fiba planchait sur cette réforme depuis mars. Mais sa mise en oeuvre étant contraignante (toutes les rencontres ne sont pas télévisées), cela a été laissé à la libre appréciation des fédérations. La FFBB s'est empressée d'en restreindre la portée. « Cette règle n'est pas applicable dans le championnat de France », peut-on lire. En revanche, elle sera expérimentée en Euroligue dès cette saison, à partir du Final Four.
Radonjic est un précurseur.
Ou un dangereux révolutionnaire. « Ni l'un ni l'autre, rigole-t-il. Je n'y suis pour rien. Il n'y a pas de lien de cause à effet entre cette nouveauté et ce que j'ai fait à la Semaine des As. Il s'agit simplement d'une coïncidence. Mais je suis toujours content quand la vérité gagne. Je pense que la vidéo finira par faire son apparition en France dans deux ou trois ans. » Le sort de certains matches pourrait en être changé. Ou pas.
La guerre en Bosnie.
Plus jeune entraîneur de Yougoslavie, à 21 ans, plus jeune arbitre international, à 35 ans, l'ancien coach de Sarajevo est un personnage. Son sens de la justice, tout comme son style d'arbitrage basé sur le relationnel (« Depuis treize ans que je suis en France, je n'ai jamais sifflé de faute technique »), sont un peu liés à son histoire personnelle. Le 6 septembre 1993, une date qu'il n'oubliera jamais, ses copains de la Fédération française l'ont aidé à fuir la guerre en Bosnie en lui procurant du travail.
Parlant une dizaine de langues (avec le même accent que Vahid Halilhodzic), Goran Radonjic est, à 55 ans, responsable des relations internationales à la FFBB. « Personne n'aime plus que moi cette fédération, clame-t-il. Sans le basket, que serais-je devenu en France ? Qu'aurais-je pu faire avec mon diplôme yougoslave en sciences politiques ? J'ai tellement profité de l'amitié des Français que je passe mon temps aujourd'hui à rendre service. » Quitte à braver les interdits. Quitte à briser le tabou de la vidéo.